L’Autriche a connu dimanche un séisme politique, avec le Parti libéral (FPÖ), ultranationaliste, xénophobe, pro-russe et eurosceptique, atteignant 28,8%, deux points au-dessus du maximum obtenu lors des élections nationales de 1999 par son leader le plus historique, Jörg Haider. Pour la première fois, il sera la force la plus votée au nouveau Parlement, une position qu’il a atteinte sous la direction de l’extrémiste Herbert Kickl, qui a promis de fermer les frontières et de suspendre l’asile.
Malgré sa victoire, il est peu probable que Kickl puisse être le « chancelier du peuple », terme utilisé par Adolf Hitler et auquel le leader d’extrême droite s’identifie. Le pays alpin est confronté à une difficile quête de gouvernabilité, puisque le FPÖ n’a personne avec qui s’allier. Si le FPÖ arrive au pouvoir, l’Europe verrait se renforcer le front des gouvernements anti-immigration et alliés de Vladimir Poutine, désormais dirigés par le Hongrois Viktor Orbán.
Le FPÖ a gagné plus de 12 points par rapport aux élections nationales précédentes. En revanche, l’ÖVP ou Parti populaire du chancelier Karl Nehammer Il baisse de plus de 11 points par rapport à 2019, pour atteindre 26,3%. Il peut s’allier aux sociaux-démocrates, en troisième position avec 21,2%, même si cela lui donnerait un avantage vulnérable d’un seul siège sur les 92 nécessaires pour obtenir la majorité absolue.
Il pourrait également opter pour une tripartite avec les libéraux Neos, un parti pro-européen qui a déjà exprimé sa volonté d’unir ses forces. Ou encore avec les Verts, ses partenaires lors de la dernière législature, avec qui il ne s’est pas toujours bien entendu. Quoi qu’il en soit, la tradition autrichienne veut que c’est la force ayant obtenu le plus de voix qui tente en premier de se forger une majorité. Autrement dit, le FPÖ de Kickl. Le leader ultra a déjà sa définition pour matérialiser une alliance entre ses ennemis : ce serait la « coalition des perdants » des urnes.
Kickl, qui était encore il y a quelques années un idéologue dans l’ombre du FPÖ, est à la fois la figure clé de la résurgence électorale de son parti et son principal obstacle à sa montée au pouvoir. En Autriche, il n’y a pas eu de cordon sanitaire autour du FPÖ alors que son rôle se limitait à celui de partenaire junior. Il a fait partie de trois gouvernements nationaux, dont le dernier dirigé par le conservateur Sebastian Kurz, qui s’est retrouvé embourbé dans des scandales de corruption.
Mais Nehammer lui-même a clairement fait savoir, comme le reste des formations parlementaires, qu’il n’entrerait pas dans un gouvernement dirigé par Kickl. Il existe une possibilité théorique qu’il se retire, selon le modèle du Néerlandais Geert Wilders, qui gère de l’extérieur la coalition entre son parti d’extrême droite PVV et les partis centristes. A Vienne, il semble peu probable que Kickl soit d’accord avec cela, car il utilise davantage le rôle de « victime » du pare-feu décrit par son parti comme antidémocratique.
Le président du pays, Alexandre van der Bellenoriginaire des Verts bien que formellement indépendant, a clairement fait savoir le soir même des élections qu’il n’était pas confiera la formation du gouvernement à tout parti qui n’est pas capable de rassembler la majorité nécessaire de 92 sièges. Le FPÖ en comptera 56 à la Chambre. Il a également assuré que le prochain chef de l’Exécutif devra adhérer aux fondements constitutionnels d’une démocratie libérale, tels que le respect de la séparation des pouvoirs, l’indépendance des médias, les droits des minorités et l’appartenance à l’UE.
Quelque chose qui exclut apparemment le FPÖ eurosceptique et xénophobe. Cela n’équivaut pas strictement à un veto présidentiel, même si la Constitution autrichienne lui donne le pouvoir de le faire. Il est plutôt interprété comme un appel aux forces démocratiques à rechercher une majorité qui contourne le FPÖ. Van der Bellen, 80 ans et en poste depuis 2017, a également déclaré qu’il entamerait des consultations avec toutes les parties avant de procéder à la constitution du nouveau gouvernement.
Le fait que l’accès au pouvoir de Kickl soit peu probable ne signifie pas qu’il puisse être exclu. Et, s’il y parvient, ce serait une nouvelle étape vers l’élargissement du cercle des alliés européens de Vladimir Poutine, après la Hongrie d’Orbán, les Pays-Bas de Wilders ou la Slovaquie de Robert Fico. Les liens de l’Autriche avec le Kremlin vont de l’anecdotique, voire du ringard, à la dépendance à l’égard du gaz russe. La première est l’image de 2018 de Karin Kneissl, alors ministre des Affaires étrangères du FPÖ, en robe de mariée, dansant une valse et s’inclinant devant Poutine, invité à son mariage.
Au-delà de ces « proximités », Vienne a ralenti les sanctions de l’UE pour la guerre en Ukraine, protégée par sa neutralité théorique puisqu’elle n’est pas intégrée à l’OTAN. Elle n’a pas réduit sa dépendance énergétique à l’égard de Moscou, mais elle aElle continue d’importer plus de 80 % de son gaz de Russie. Il s’agit de liens cultivés depuis des décennies, entretenus par les gouvernements successifs et qui devraient durer encore au moins une décennie et demie, en raison des contrats en cours avec Gazprom. Il n’y a eu aucune rupture entre Vienne et Moscou après l’annexion de la Crimée en 2014. Poutine a choisi Vienne pour son premier voyage à l’Ouest après l’annexion de la péninsule et a été reçu avec les honneurs. Deux longues années après l’invasion de l’Ukraine, Vienne maintient sa neutralité ambivalente.
Abonnez-vous pour continuer la lecture